Le Laboratoire des Métamorphoses


 Je ne regardais pas l'artiste dans les yeux, mais dans son décor. Son atelier, son musée, avide d'histoires, de découvertes, de matières définissant un artiste à la morale non consumériste: une vision a double tranchant, pour cette homme dont les mémoires, comme une symbiose de l'être, inspirent de son médium une allure poétique. De cette rencontre j'en exhibe le souvenir, particulièrement singulier, d'un homme réaliste, vivant des réminiscences. Objet au désir enfantin, c'est à travers cette attractivité que Franck Garam, au premier regard, repère se qui fera d'un attache éphémère une part de lui-même. Un amoncellement de butes, de poupées, de toiles, de collages, de sculptures d'objets en tous genres, comme un puzzle, un engrenage... Des tiroirs débordants, à chaque corps intrus son recoin: une vue à 360 degrés, tourmentée par les lieux. L'oeil à saturation se perd dans un bazar organisé à la Jackson Pollock, à un détail près, le blanc est inexistant. 

 Maurane SELLAMI

 

 Frank Garam dans sa maison atelier

30, boulevard de la libération

Moi, je travaille avec le hasard, et entre temps, il faut que je vive le mieux possible. Le hasard, je le croise. Tu le croises le hasard.

Je peux pas croiser une poubelle sans avoir un œil dedans. Sauf que maintenant, ici, c'est plein, alors, des fois, j'essaye de ne pas regarder.

Chaque fois que je fais un truc, c'est une expérience. Pour voir si ça peut marcher. De formation, je suis artisan, artisan d'art. J'ai des notions : je travaille un peu le fer, un peu le bronze. Je suis spécialiste dans rien, j'ai un peu des notions dans tout. Ici, j'ai tout fait. Je dis pas que c'est aux normes ! La plomberie, pareil, c'est pas aux normes mais ça marche. Mon métier c'est de restaurer des lustres anciens. J'en ai restaurés chez Mouret pendant des années. Pour un chantier j'ai restauré tous les luminaires du musée Grobet-Labadie. Pendant ce temps, j'ai commencé à faire des chaînes, et puis après je les ai accrochées. Au début y'avait quatre chaînes d'un coté. Puis après les gens m'ont dit « c'est sympa ». J'ai rajouté des chaînes, rajouté des chaînes, puis après ça faisait un lustre. Mais c'était pas prémédité. Puis après, comme c'était mon boulot, j'ai tout remonté en vrai lustre. La structure c'est un manche d'aspirateur, et ça c'est deux portants découpés.

J'aime bien dire : « je fais de l'assemblage ». J'assemble les trucs que je trouve. On ne peut pas dire que le crée puisque ça existe déjà. Je leur donne juste un sens nouveau : ça c'est une table, ici c'est une maison. Moi je n'ai que ce lieu, et je ne possède que ça. Donc si j'ai quelque chose de gros que veux rentrer, il faut que ça me serve aussi. Je ne peux pas me permettre d'avoir quelque chose de posé là parce que ça me plaît. Ils me servent, ça crée l'ambiance ici, mais si je pouvais tout vendre d'un coup, ça serait mon rêve... le type, il vient, il t'achète tout. Puis après tu reconstruis autre chose ailleurs. Ce que j'aimerais, c'est pouvoir construire un autre lieu, créer une autre ambiance. Si j'avais un appartement, j'aurais rien : j'aurais un truc blanc, un tableau, une chaise.

Et ici, c'est un peu comme une usine : il y a plein de petits chantiers et après, si je me ballade et que je vois tel objet, tout d'un coup, il va prendre sa place. Y'a des périodes où j'accumule, et des périodes où-tout se met en ordre. Je dis : « C'est du rangement ».

Ce qui m'étonne c'est le nombre de personnes qui quand elles sont venues ici _ aux Portes Ouvertes _ qui te disent « merci », ça fait du bien de voir ça. Je donne du plaisir aux gens. C'est un boulot aussi ! Aujourd'hui, on te dit : « Pour l'Etat, t'es artiste si tu vends ». Si tu vends pas, t'es pas un artiste. Mais tu peux créer des ambiances aussi. Non, c'est le chiffre d'affaires et c'est tout. Ils te disent qu'il faut faire un prix de revient. _ Moi, je fais les poubelles alors... C'est combien à l'heure les poubelles ?

On m'a traité de démiurge, des fois. Moi je crois que c'est une recherche. Un artiste, c'est comme un chercheur. Il cherche quelque chose, il ne sais pas. Ça fait longtemps que j'ai cette sensation : je sais pas où je vais, mais je sens que je m'y rapproche. Depuis que je suis petit je ne comprends pas le monde dans lequel je vis. Je me demandais toujours pourquoi il fait ça, pourquoi il dit ça. Je cherche à comprendre quelque chose. Plus ça va, plus je dis: « Ce que tu cherches c'est une explication à la vie : pourquoi tu nais, pourquoi tu meurs, pourquoi y'a toutes ces choses entre. » Puis après, y'a plein de choses qui sont bizarres : les rêves, les rencontres.

Après, c'est cette question du hasard : je me demande s'il y en a un. Vraiment. Y'a un truc bizarre quand tu vas aux puces. Aux puces, y'a des milliers d'objets, tout d'un coup t'en vis un, il est là, au milieu, il est petit, ou il est sous le truc. Et c'est à partir de cet objet que touts part. Tu… Quand je croise un objet, je pense qu'il m'attendait. Si tu l'as ramassé, c'est qu'il t'as appelé. Après si tu l'as lavé, nettoyé, tu l'as entretenu _ Avant, même, ma copine les déchargeait. Elle disait que les objets avaient emmagasiné plein d'une histoire, et elle les déchargeait _ tu t'en es occupé : tu l'as reconnu.

Après je me pose certaines questions : pourquoi tu ramasses les objets, pourquoi tu les gardes , pourquoi, pourquoi tu les répares ? Un jour, il trouve leur place. Des fois c'est assez surprenant, ils vont trouver leur place pas dans ce que tu avais prévu. Tu as même le truc aussi : tu as gardé un objet pendant des années, un bout de féraille tordu, tu te dis ça fait des années que ça m'emmerde, que je le pousse, que tu te cognes avec, puis tu le jettes et puis, un jour, tu t'aperçois que tu en as besoin.


frankgaram@gmail.com ITW réalisé le 13 juillet 2011 en présence de Martin Kimmel par patricia.rouillard@gmail.com. Pour les journées POC 2011

 

 

Bien que n’importe quel qualificatif issu du commentateur le plus inspiré resterait inéluctablement en dessous de la réalité, si je devais définir le travail de Frank, je l’appellerais CONSTATS INTIMES.

Sa forme d’expression se situe au dessous du langage. Sa perception de l’époque se traduit dans l’indépendance rigoureuse d’une lucidité aiguisée.

Jaillissement de couleurs aux éclats d’image ou rigueur de lévitation de divers matériaux, le travail de Frank revoie le spectateur au palimpseste de son vécu et de celui de la société.

Expression informelle des mille et un morceaux du subconscient de plusieurs générations dressant ainsi le constat des lieux collectif. Matériaux de rencontre appartenant a l’imaginaire social se rencontre en rendez vous fortuit pour exprimer le su informulé constitutif de la nature humaine. De cette manière chaque spectateur y trouvera son sens personnel et peut être même en rajoutera-t-il tant le paysage reste ouvert et ainsi une quantité illimité de contenus significatifs s’offre individuellement a tout un chacun.

La substance se trouve ni dans le matériaux, ni dans le mode de narration mais dans l’histoire qui y est racontée

C’est de cette manière que les harmonies surgissent « naturellement » et l’ensemble donne une impression d’unité esthétique propre au miroir de chacun.

R.FOURNIER

Musée de Demain Matin


Le Laboratoire des Métamorphoses ou le garage Hermétique.

Le grand jeu est irrémédiable; il ne se joue qu’une fois. Nous voulons le jouer à tous les instants de notre vie.
C’est encore à « qui perd gagne ». Car il s’agit de se perdre.
Nous voulons gagner. Or, le Grand Jeu est un jeu de Hasard, c’est-à-dire d’adresse, au mieux de « grâce » : la grâce de Dieu et la grâce des gestes, avoir la grâce est une question d’attitude et de talisman, rechercher l’attitude favorable et le signe qui force les mondes est notre but. Car nous croyons à tous les miracles.
Attitude : il faut se mettre dans un état de réceptivité entière, pour cela être pur, avoir fait le vide en soit. De là notre tendance idéale à remettre tout en question dans tous les instants.
Une certaine habitude de ce vide façonne nos esprits de jour en jour.
Une immense poussée d’innocence a fait craquer pour nous tous les cadres des contraintes qu’un être social a coutume d’accepter.
Nous n’acceptons pas parce que nous ne comprenons plus.
Pas plus les droits que les devoirs et leurs prétendues nécessités vitales.

Avant-propos du numéro de la revue le Grand Jeu, 1928
Roger Gilbert-Lecomte en complet accord
avec : Hendrik Cramer, René Daumal, Artür Harfaux,
Maurice Henry, Pierre Minet, André Roland de Renéville,
Josef Sima, Roger Vailland.


Je construis le monde dans lequel je vis

Charlie Parker


Tout d’abord à Marseille, pendant de nombreuses années il y a la pratique de la brocante.
La fréquentation des marchés aux puces et autres déballages.
Les petits matins à la lampe torche, à chiner parmi les amoncellements d’objets insolites et hétéroclites, dégoter, dénicher, trouver la perle rare. Déjà il pense et s’organise en artiste; constitue des ensembles :
Ensemble d’objets de couleur orange, en plastique, en faïence, en carton, ensemble de modèles réduits de bateaux en bois évoquant les ex-voto des marins offerts à Notre Dame de la garde, ensemble de papiers imprimés, magazines, revues, publicités, collections d’images, ensembles de tiroirs dépareillés, de cristaux de lustres et autres pièces de luminaires, de vieux outils, de divers objets de quincaillerie, plomb, cuivre, laiton, bronze et autres métaux tout y passe, tout finit rangé, trié, classé, répertorié, archivé.
Sans y penser un seul instant, pris d’une frénésie d’accumulation ordonnée de ses découvertes et trouvailles, il est entrain de construire chaque jour sa « Mnémosyne »  son « musée imaginaire » , son «  théâtre de la mémoire ».

Puis il découvre le monde de la restauration de lustres anciens.
Le voilà des jours entiers au fond d’un atelier à peine éclairé d’une lumière zénithale.
Ébloui par le reflet du jour à travers les cristaux, il observe avec curiosité et minutie les prismes de couleurs projetés sur les murs et écoute avec attention les sons des pampilles de cuivre et de verre qui s’entrechoquent au rythme du travail.

Ces deux univers : un goût prononcé pour la dérive , la cueillette des rebuts de la ville et la pratique d’assemblages minutieux destinés à diffuser les rayons lumineux, constituent le vocabulaire et la grammaire dont il commence à faire usage dans la réalisation de poème objets.

Le travail de Frank Garam trouve son origine dans le passage de rebus au rébus.
Il est intéressant de noter qu’en catalan, le mot rebut signifie un reçu.
Nous devons voir là une pratique liée à la notion de hasard objectif.
L’objet ramassé, recueilli, reçu, est reconnu grâce à un singulier sentiment d’élection, une attraction passionnée, en aucun cas il ne pourrait être par un objet similaire.

Les matériaux utilisés sont des cartes postales, reproductions d’œuvres de toutes périodes, paysages de montagne, emballages de produits alimentaires ou de paquets de cigarettes, publicités, flyers, cartons d’invitation d’expositions, enseignes, objets trouvés tels que jeux de société, étuis d’instrument de musique, boites, miroirs, parapluies, parasols, bijoux, vieux outils, pipes, coquillages, tiroirs, jouets…

Les images ou objets font signe, verbe, mot, lettre, histoire.
Ils sont assemblés, collés, liés, enchaînés, soudés, empilés, suspendus formant une œuvre ouverte polysémique-polyphonique, une charade à tiroirs, un rébus.
L’assemblage par analogie, correspondance, opposition formelle, picturale, chromatique, phonétique, opèrent des glissements sémantiques.

Il grave patiemment une Pierre de Rosette, un labyrinthe dont nous sommes les portes entrouvertes et nous invite à révéler le Champollion qui sommeille en chacun de nous.
Depuis 1990, son travail se déploie en plusieurs chantiers menés simultanément.
Ces différentes pratiques apparaissent sous les titres génériques suivants :


1 - les pistes d’atterrissage
Ce sont des collages en deux dimensions de forme rectangulaire, circulaire ou triangulaire sur différents supports.
Les images et les formes sont ici associées librement, spontanément, à partir d’une idée clef. Il s’agit d’un atterrissage d’urgence suite à un détournement.
Le choix du support fait signe et sens autant que les éléments collés :

Planche : lat : planca : fragment d’un arbre scié en lame.
J’ai la mémoire qui planche (plancher : travailler, réfléchir(voir miroir)) faire des planches à partir des troncs, débiter des pièces de bois, montrer de quel bois on se chauffe, sauver une planche du naufrage, faire la planche = flotter.

Porte : les portes sont des ouvertures (issue, moyen) tout comme les œuvres sont des ouvertures, œuvrer c’est ouvrir, œuvre : lat, opéra, œuvrer = ouvrir = opérer.
Les portes sont simultanément une entrée et une sortie.

Étagère : Etage : du verbe lat : ester, se tenir debout, en ancien français a signifié : demeure, séjour, habitation puis niveau, degré, condition, situation, rang.
Où vais-je, où suis-je, dans quel état j’erre.

Miroir : surface réfléchissant la lumière ou l’image des choses,
Mirage : illusion d’optique, « illusion trompeuse »
Mirer = voir, regarder.
Oïr = ouïr, entendre, écouter.
Voir les recherches sur l’optophonie de Raoul Hausmann.
Peut-on entendre ce que l’on voit et voir ce que l’on entend.
L’écho est le miroir du son et l’image du bruit.

2-les proliférations imaginistes
Le collage d’images recouvre ici des objets usuels du quotidien.
Il s’agit de contrarier leurs fonctions utilitaires, l’appétit de merveilleux sans cesse renouvelé prolifère et les fait basculer de l’autre côté du miroir, dans l’extra quotidienneté.
Objet = chose, corps, outil, ustensile …
Objet = cause, concept, sujet, but…
Objet = objectif

3- les poèmes-objectifs
Il s’agit d’assemblages d’objets trouvés.
Les objets dialoguent et aimantés, forment la combinaison moléculaire d’une matière nouvelle.

4- les rêves de tiroirs
Les objets sont ici réunis par des chaînettes de laiton et forment des mobiles suspendus dans l’espaces.
Mobile = en mouvement.
Mobile = cause, moteur.
Mobiliser = mettre en campagne.

5- tout éteint
L’atelier en tant que laboratoire, lieu où s’exprime une langue visuelle imagée, les images et les choses s’énoncent ici et maintenant et coulent comme l’eau vive dans le lit d’un fleuve.
La notion d’œuvre d’art total est la tentative de faire que l’ensemble des travaux ne soit qu’un.


Augustin Pineau
Avec l’aide d’ Erik Satie, André Breton, Aby Warburg, André Malraux, Julio Camillo, Hegel, Guy Debord, Lewis Carroll, Gary Snyder, Woody Allen, Charles Fourier, Raoul Hausmann, Ovide, Moëbius, Richard Khaitzine, Raymond Hains.